lundi 8 juin 2009

Gros Plan : Moto-Guzzi V7 Sport

Génération Sport !

Le V-twin Guzzi est à la fin des années soixante un moteur encore jeune, mais très prometteur. Pendant plusieurs décennies, Carcano a travaillé et retravaillé sans cesse son monocylindre culbuté pour plus que doubler sa puissance aussi Lino Tonti compte bien lui aussi tirer toute la quintescence du moteur en V. L’idée de départ, l’idée était de produire une V7 Spécial capable de faire ses preuves dans les championnats d’endurance mais aussi de frapper un grand coup pour contrer l’offensive commerciale des Japonaises.


Ci-dessus : Présentation des V7 Sport au Salon de Milan de 1971.
On voit là une V7 à cadre rouge
dotée d'un petite saute-vent optionnel)
et la V7 Sport de grande
production à cadre noir.



R
estait à convaincre les dirigeants du bien fondé d’une telle machine. La situation économique de Moto Guzzi n’était pas encore très saine et de plus, certaines grèves venaient perturber la production. De Stefani donna toutefois carte blanche à Lino Tonti avec toutefois un cahier des charges clairs : il fallait réaliser une moto de moins de 200 kg, capable d’atteindre les 200 km/h et dotée d’une boîte à 5 rapports. En clair, il fallait faire mieux que les concurrents nippons… Tonti travailla d’arrache pied avec une petite équipe dans son propre atelier et présenta en juin 1971 deux prototypes lors des 1000 km de Monza, une épreuve réservée aux 750 de Sport Production. Ils étaient effectivement beaucoup plus légers que les V7 Special, avec un cadre totalement revu et les machines se singularisaient par un centre de gravité très bas. Avant de courir, le fameux pilote Mike Hailwood eut l’opportunité de prendre le guidon de la nouvelle V7. Il ne tarissait pas d’éloge sur les qualités de la Moto Guzzi, avec une mention spéciale pour la tenue de route. Lors de la course de Monza proprement dite, les deux machines firent sensation, surtout que l’une d’entre-elles termina troisième de l’épreuve après avoir longtemps occupé la seconde place. En France, la V7 Sport apparut pour la première fois lors des 6 heures de Rouen (circuit des Essarts) en juillet 1971 où elles connurent des problèmes de refroidissement(à cause entre autre d’un carénage parfais du point de vue aérodynamique mais gênant trop le flux d’air) mais là encore, elles firent grosse impression Mais c’est lors de l’édition du Bol d’Or au Mans que les Guzzi, réalésée pour cette course en 844 cm3 (une cylindrée qui annonce la future Le Mans) que les motos dévoilèrent leur qualité en finissant à la troisième et à la sixième place. Désormais, celle qui allait être connu sous le nom de V7 Sport commercialisée car dans la foulée, la FIM imposa la construction d’au moins 100 motos pour pouvoir bénéficier de l’homologation en Sport P.


Ci-dessus : Cette V7 Sport à cadre rouge
n'est sûrement pas entièrement d'origine. Les carters de boîte de vitesses
sont nervurés, alors qu'ils sont lisses sur les vraies Telaio Rosso
.
La selle de type 1 place 1/2 est empruntée une 750 S ou S3 plus tardive.


La Telaio Rosso

Cent quatre exemplaires exactement furent assemblés mais n’étant pas vraiment prioritaires, ces exemplaires sortirent non pas des chaînes de production classiques mais de l’atelier du département compétition. Elles étaient donc assemblées à la main, ce qui explique qu’aucune de ces motos de pré-production était identique. Et lorsqu'on précise à la main, c'est vraiment à la main ! Tout ce qui est mobile a été poli : des pièces internes du moteur aux tubes de fourche ! En 1972, la vraie série débuta avec les désormais mythiques (et très recherchées) « Telaio Rosso », les V7 Sport à cadre rouge mais une petite partie de ces motos continuait à être assemblée par le département compétition. En attendant, tout le monde motard est admiratif lors su Salon de Milan 1971. Et tous les journalistes sont véritablement enthousiastes : la tenue de cap est irréprochable, le « senti » de la machine excellent et le moteur est aussi tonique qu’endurant. Lino Tonti a réussi son pari. Voyons un peu le détail de cette machine.

Anatomie de la V7 Sport
Si la mécanique est toujours un V-twin, les 750 cm3 sont en fait un 748,8 cm3 (pour rester en deçà des 750 imposés par la compétition). Cette cylindrée a été obtenue en réduisant l’alésage à 82,5 mm (au lieu de 83 mm sur la V7 Special). Les carters sont aussi différents, avec des renforts venus de fonderie très visibles et un ailetage plus généreux sur l’avant. Les touts premiers exemplaires avaient des carters de boîtes de vitesses « lisses » comme sur les V7 Special mais ils furent eux aussi renforcés par la suite. L’arbre à cames est plus « méchant » et on note l’apparition de ressorts de soupapes doublés mais la taille des dites soupapes ne change pas (41 mm à l’admission et 36 mm à l’échappement). En outre, un nouvel allumage apparaît. Il comporte désormais deux rupteurs et deux bobines afin d’améliorer le rendement du moteur à haut régime. La dynamo a été déposée : trop encombrante, sa dépose permit de réduire considérablement la hauteur du bloc moteur. A sa place, on trouvait un alternateur Bosch en bout de vilebrequin. Le démarreur fut lui aussi repensé et allégé. Les motos de course reçurent parfois (au moins lors de la course de Rouen) des Dell’Orto SS de 35 mm à double cuve mais de série, des Dell’ Orto VHB de 30 mm furent choisis. Avec un taux de compression de 9,8 à 1, le moteur est annoncé pour 70 ch à 7000 tr/mn (en fait, 52 ch au vilebrequin), ce qui en fait un des plus puissants de son époque. La boîte est à 5 rapports, toujours à pignons à taille hélicoïdale. Côté partie-cycle, tout ou presque a été repensé.


Ci-contre et ci-dessous. Le moteur en V épouse parfaitement le galbe du cadre nettement surbaissé par rapport aux anciennes V7 type Spécial. L'alternateur, jusque là logé entre le V des cylindres, prend désormais place en bout du vilebrequin, tout à l'avant. Ainsi, la hauteur du cadre est moins importante. Mais comme toute la mécanique est emprisonnée dans un réseau de tubes, afin d'accéder correctement aussi bien au moteur qu'à la transmission, tout le berceau inférieur est démontable. La moto est basse, facile à enfourcher et si elle n'est pas très confortable, toutes les commandes tombent sous la main et les pieds. C'est une machine qui se pilote au "senti" ...




Un cadre
sur-mesure

Le cadre est ainsi en chrome molybdène, nettement plus léger que le précédent. Il est plus long mais beaucoup moins haut qu’auparavant, cette architecture ayant été rendue possible parce que la dynamo entre le V des cylindres a disparu. Son originalité provient du berceau inférieur démontable, une techniques très appréciée car elle permet la dépose du moteur et de sa transmission très rapidement. Avec ses roues de 18 pouces, la V7 Sport est très basse par rapport à ses concurrentes. La fourche Moto Guzzi est d’un nouveau type, avec des éléments type à cartouche et les combinés arrière sont des efficaces Koni de 320 mm. Le reste n’a pas non plus été traité à la légère : jantes Borrani en aluminium, pneus Michelin, double tambour double came Grimeca, amortisseur de direction, demi-guidons entièrement réglables (en hauteur et en écartement), garde-boue arrière articulé pour faciliter le changement de la roue jusqu’à la petite lampe s’allumant lors de l’ouverture de la selle. Rien ne manque…

Les demi-guidons des V7 Sport étaient réglables en hauteur et en écartement. Contrairement aux Moto-Guzzi de la seconde moitié des années soixante-dix, la finition des V7 Sport était plutôt bonne, si l'on excepte les traitements des inox et les peintures qui se ternissaient assez vite, un mal typique des productions italiennes, y compris dans l'automobile.




A peine née, déjà légendaire...


Durant le courant de l'année 1972, les motos non assemblées par le département compétition reçurent un cadre noir mais elles conservaient le réservoir vert citron. Toutefois, le moteur n'était plus assemblé à la main et les "cadre rouge" sont aujourd'hui naturellement les plus recherchées. Il y a même fort à parier que ces Telaio Rosso sont plus nombreuses aujourd'hui qu'il y a trente-sept ans... En 1973, les coloris changent avec l’adoption d’éléments de tôlerie rouge (le réservoir dispose désormais de monogrammes Moto Guzzi en plastique et non plus de décalcomanies). Mais toujours pas de clignotants sauf sur les derniers modèles de l'année. La dernière tranche de production perdait les pignons d’entraînement de l’arbre à cames, remplacé par une chaîne et une tringlerie de commande de boîte de vitesses à gauche, ce qui nécessita de simplifier la commande de frein arrière. A partir de 1974, un double disque Brembo est optionnel mais il ne fut monté que sur 152 modèles, tous exportés aux USA. A cette même date, la décoration des réservoirs retourne aux décalcomanies, moins onéreux. La V7 Sport est incontestablement une machine exceptionnelle, la plus homogène des sportives de son temps, car elle est capable de tenir les 200 km/h de vitesse de pointe sans broncher dans les virages, ce qui est loin d'être le cas de ses concurrentes japonaises... Pourtant, la 750 Sport est très vite éclipsée par un autre modèle moins sportif, la V 850GT qui succède à la V7 Special et qui est la première Moto Guzzi de 844 cm3. La carrière de la V7 Sport est quant à elle on en peut plus courte puisqu’elle cesse en 1974 avec l’arrivée de sa remplaçante à la fois plus moderne mais aussi simplifiée par rapports à la Sport. La 750 S conserve l’essentiel de la V7 mais s’en distingue nettement par ses freins à disques Brembo à l’avant, sa selle une place et demi, ses échappements noir mat et une nouvelle déco. Cette S est suivie d’une S3, moins emblématique que les modèles précédents. Moins chère à produire, la 750 S3 est un des symboles de la nouvelle ère qui s’annonce, celle de De Tomaso.


La 750 S puis la S3 sont les héritières de la V7 Sport,
mais elles n'en n'auront jamais l'aura. A cette époque, Moto-Guzzi
est reprise par l'homme d'affaires argentin
Alejandro de Tomaso (qui possède déjà Benelli).
Il ne portera jamais les V-twin Guzzi dans son coeur, souhaitant
que la firme de Mandello Del Lario se cantonne à des petits
deux-temps tandis que Benelli s'appuiera sur une gamme de sportives
à moteur multicylindre en ligne. Ceci explique le retard considérable
de la Le Mans , prête dès 1972 mais qui devra
attendre fin 1975 pour devenir une réalité commerciale.


Production (nombre d'exemplaires)
1971 : 104
1972 : 2152
1973 : 1435
1974 : 152*
* exportées aux USA


Francis Dréer

Photos et archives BigBlock